Lettre ouverte à l'Humanité
Chère Humanité
J'ai longtemps hésité avant de prendre la plume pour vous écrire. Je ne sais que trop votre indifférence quand aux tentatives d'en appeler à vous. Mais peu m'importe aujourd'hui si vous me lisez ou non, vous écrire a plus d'importance pour moi que je n'en ai jamais eu pour vous.
Vous savez, je vous ai toujours idéalisée. Je vous imaginais solidaire et fraternelle, aimante et respectueuse, ouverte d'esprit, riche de votre multiculturalisme. Et quand vous n'étiez pas à la hauteur de l'image que je me faisais de vous, je voulais croire que vous alliez le devenir, avec mon humble concours et avec celui des milliers, millions, milliards d'autres humains qui partageaient mon idéal vous concernant.
Bien sûr, pas exactement le même idéal. Une des raisons de mon amour pour vous tient à vos multiples facettes, celles qui font qu'aucun humain n'est identique, n'a exactement le même rêve. Mais même cela - cette certitude d'être à tout jamais solitaire, jamais totalement comprise - ne pouvait me décourager, et, au contraire, me donnait l'envie, la force, de partager mes rêves.
Vous savez, avoir un véritable idéal, c'est usant. C'est dur d'être humaniste vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dur de ne jamais faire preuve d'égoïsme, dur d'aider tout le monde en permanence, autant que l'on peut, et parfois plus que l'on ne peut. Et quand on renonce, temporairement, parce qu'on n'en a plus la force, tout simplement, et que quelque chose se passe, et que l'on n'a rien fait, c'est si dur le sentiment de culpabilité alors.
Nous sommes responsables de ce que nous n'essayons pas d'empêcher.
Et il y a tellement de choses qui devraient vous faire honte, et que vous n'empêchez pas. Tellement de causes pour lesquelles se battre, que j'en devient paralysée, assomée par l'ampleur de la tache, détruite par la sensation d'être seule à lutter.
Bien sûr c'est faux. Je ne suis pas seule loin de là. Mais nous sommes si peu, ou du moins c'est mon impression.
J'ai discuté avec quelqu'un qui ne croyait pas à l'humanisme, il y a quelques temps. Cette personne disait que l'égoïsme seul faisait tourner notre monde, vous faisait avancer. Elle disait que lorsque l'on donne une pièce à un mendiant, ce n'est pas par solidarité, mais par projection : on s'imagine à sa place, et on aimerait recevoir une pièce dans cette situation, donc on donne. Don contre don, elle appelait ça.
Je me suis souvenue de ma période de bénévolat dans une association caritative. Je venais brûlante d'innocence, dans la joie de donner sans attendre de retour, et j'ai finalement reçu beaucoup, parce que celui qui donne reçoit toujours. Mais je me souviens d'une conversation surprise entre deux autres bénévoles, par hasard. Qui disaient que Dieu le leur rendrait. Et je me souviens de mon malaise, quand je me suis aperçue que ces personnes ne venaient pas pour donner, mais dans un esprit de marchandage, si je fais une bonne action, Dieu me pardonnera mes mauvaises.
Sauf que moi, je doute de l'existence de Dieu, et ce marchandage-là me met vraiment mal à l'aise. je vous l'ai dit, je suis trop idéaliste.
Mais je me suis rendue compte que j'étais moi aussi totalement égoïste, et en ce sens la théorie du don contre don me semble valable.
Je suis égoïste parce que mes idéaux prennent racines dans mes faiblesses. Si je suis pacifiste, c'est parce que j'ai terriblement peur de la guerre, et que je connais trop bien l'Histoire pour être insouciante. Si je suis altermondialiste, c'est simplement parce que notre système actuel crée la misère, et que quand il n'y a plus de choix qu'entre la misère et le sang, c'est bien souvent le sang qui prime. Si j'aide ceux qui sont un temps, dans un domaine précis, plus faibles et plus fragiles que moi, c'est parce que je sais que si vraiment votre seule loi est celle du plus fort, alors je serai parmi les premiers éliminés.
Je veux croire à une société juste et fraternelle, parce que c'est dans cette société que j'aurai le plus de chance de m'épanouir.
Et tous mes idéaux peuvent s'expliquer ainsi, l'altruisme n'est qu'une forme plus aboutie de l'égoïsme.
Je vous ai écrit cette lettre, ma chère Humanité, parce que je voulais vous dire que je ne vous trouve pas si belle que ça. Que vous me décevez profondément et à chaque fois me blessez davantage - car il est inifiniment douloureux de perdre ses illusions.
Je voulais vous dire aussi que je vous aimais de toutes mes forces, non parce que vous le méritez - et qui suis-je pour en juger ?- mais parce que si je ne vous aimais pas, je n'aurais plus de raisons de vivre en votre sein.
Humainement vôtre
Harmonie
J'ai longtemps hésité avant de prendre la plume pour vous écrire. Je ne sais que trop votre indifférence quand aux tentatives d'en appeler à vous. Mais peu m'importe aujourd'hui si vous me lisez ou non, vous écrire a plus d'importance pour moi que je n'en ai jamais eu pour vous.
Vous savez, je vous ai toujours idéalisée. Je vous imaginais solidaire et fraternelle, aimante et respectueuse, ouverte d'esprit, riche de votre multiculturalisme. Et quand vous n'étiez pas à la hauteur de l'image que je me faisais de vous, je voulais croire que vous alliez le devenir, avec mon humble concours et avec celui des milliers, millions, milliards d'autres humains qui partageaient mon idéal vous concernant.
Bien sûr, pas exactement le même idéal. Une des raisons de mon amour pour vous tient à vos multiples facettes, celles qui font qu'aucun humain n'est identique, n'a exactement le même rêve. Mais même cela - cette certitude d'être à tout jamais solitaire, jamais totalement comprise - ne pouvait me décourager, et, au contraire, me donnait l'envie, la force, de partager mes rêves.
Vous savez, avoir un véritable idéal, c'est usant. C'est dur d'être humaniste vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dur de ne jamais faire preuve d'égoïsme, dur d'aider tout le monde en permanence, autant que l'on peut, et parfois plus que l'on ne peut. Et quand on renonce, temporairement, parce qu'on n'en a plus la force, tout simplement, et que quelque chose se passe, et que l'on n'a rien fait, c'est si dur le sentiment de culpabilité alors.
Nous sommes responsables de ce que nous n'essayons pas d'empêcher.
Et il y a tellement de choses qui devraient vous faire honte, et que vous n'empêchez pas. Tellement de causes pour lesquelles se battre, que j'en devient paralysée, assomée par l'ampleur de la tache, détruite par la sensation d'être seule à lutter.
Bien sûr c'est faux. Je ne suis pas seule loin de là. Mais nous sommes si peu, ou du moins c'est mon impression.
J'ai discuté avec quelqu'un qui ne croyait pas à l'humanisme, il y a quelques temps. Cette personne disait que l'égoïsme seul faisait tourner notre monde, vous faisait avancer. Elle disait que lorsque l'on donne une pièce à un mendiant, ce n'est pas par solidarité, mais par projection : on s'imagine à sa place, et on aimerait recevoir une pièce dans cette situation, donc on donne. Don contre don, elle appelait ça.
Je me suis souvenue de ma période de bénévolat dans une association caritative. Je venais brûlante d'innocence, dans la joie de donner sans attendre de retour, et j'ai finalement reçu beaucoup, parce que celui qui donne reçoit toujours. Mais je me souviens d'une conversation surprise entre deux autres bénévoles, par hasard. Qui disaient que Dieu le leur rendrait. Et je me souviens de mon malaise, quand je me suis aperçue que ces personnes ne venaient pas pour donner, mais dans un esprit de marchandage, si je fais une bonne action, Dieu me pardonnera mes mauvaises.
Sauf que moi, je doute de l'existence de Dieu, et ce marchandage-là me met vraiment mal à l'aise. je vous l'ai dit, je suis trop idéaliste.
Mais je me suis rendue compte que j'étais moi aussi totalement égoïste, et en ce sens la théorie du don contre don me semble valable.
Je suis égoïste parce que mes idéaux prennent racines dans mes faiblesses. Si je suis pacifiste, c'est parce que j'ai terriblement peur de la guerre, et que je connais trop bien l'Histoire pour être insouciante. Si je suis altermondialiste, c'est simplement parce que notre système actuel crée la misère, et que quand il n'y a plus de choix qu'entre la misère et le sang, c'est bien souvent le sang qui prime. Si j'aide ceux qui sont un temps, dans un domaine précis, plus faibles et plus fragiles que moi, c'est parce que je sais que si vraiment votre seule loi est celle du plus fort, alors je serai parmi les premiers éliminés.
Je veux croire à une société juste et fraternelle, parce que c'est dans cette société que j'aurai le plus de chance de m'épanouir.
Et tous mes idéaux peuvent s'expliquer ainsi, l'altruisme n'est qu'une forme plus aboutie de l'égoïsme.
Je vous ai écrit cette lettre, ma chère Humanité, parce que je voulais vous dire que je ne vous trouve pas si belle que ça. Que vous me décevez profondément et à chaque fois me blessez davantage - car il est inifiniment douloureux de perdre ses illusions.
Je voulais vous dire aussi que je vous aimais de toutes mes forces, non parce que vous le méritez - et qui suis-je pour en juger ?- mais parce que si je ne vous aimais pas, je n'aurais plus de raisons de vivre en votre sein.
Humainement vôtre
Harmonie