L'architecture et le Sacré, IV

Publié le par Harmonie

II. Où il est question de l’habitation
 
Nous avons vu qu’au niveau de la ville la sacralité existe encore, sous une forme différente.
Qu’en est-il de l’habitation humaine ?
L’habitation a aussi un caractère sacré, dans beaucoup de cultures. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
 
A. Où il est question de la maison, imago mundi
 
Comme la ville, l’habitation est censée être une imago mundi, le cosmos à une échelle encore plus réduite. On y retrouve donc l’idée d’une centralité nécessaire, d’un point originel qui servira d’axe à la construction.
 
Les maisons traditionnelles chinoises ont un trou percé dans le plafond pour laisser passer la fumée et un autre creusé dans le sol pour recueillir les eaux de pluies. La maison est ainsi traversée symboliquement par l’axe reliant les trois mondes (le monde souterrain, la Terre et le Ciel). Cela ressemble beaucoup à l’impluvium et au compluvium romains.
 
Dans nombre de cas, ce centre est assimilé au foyer. En effet le feu est la source de la vie dans la maison, puisqu’il donne la chaleur, l’éclairage, permet la cuisson des aliments…
D’une certaine façon, les maisons de la prairie de Frank Lloyd Wright, avec leur cheminée centrale s’inscrivent dans la même tradition.
 
 
La maison traditionnelle contient souvent un autel ou un oratoire. Implicitement ou explicitement, la protection d’entités sacrées est demandée.
Les maisons grecques comportent des autels, les Romains prient les lares, divinités protectrices des habitations…
Et plus tard les seigneurs construiront des chapelles et des oratoires privés, à l’intérieur de leurs demeures.
 
Feng Shui
 
Le Feng Shui, littéralement « vent et eau » est une science datant de plus de 3500 ans, imprégnée de symbolisme et qui vise à choisir et à organiser un espace pour qu’il soit harmonieux et procure une vie agréable à ceux qui l’habitent.
Il existe plusieurs écoles de pensée différentes, certaines plus axée sur l’environnement (Feng Shui de la Forme) sur les orientations –notamment les points cardinaux – et les trigrammes (Feng Shui de la Boussole)…
Le Feng Shui a été utilisé pendant des siècles au niveau de l’urbanisme. La ville de Guangzhou (Canton) a ainsi été créée en respectant les règles du Feng Shui et de la géomancie.
Et plus récemment, le tracé des murailles de la ville d’Hanoï, dessiné par des ingénieurs français, a été modifié selon des données géomantiques…
B. Où il est question du seuil
 
L’autre endroit important est celui du seuil. Il est la limite entre l’espace privé et l’espace public, mais aussi symboliquement le passage du profane (monde extérieur chaotique) au sacré (monde intérieur organisé).
Il est la limite, qui définit un comportement différent. Dans les maisons japonaises, il est nécessaire de se déchausser pour entrer.
Franchir le seuil, c’est accepter la loi de l’hôte.
 
C’est sur le seuil que les juifs placent la mezouzah, rouleau de parchemin sur lequel sont écrits deux passages du Tanakh. La mezouzah n’est pas considérée comme un talisman, mais elle assure la protection divine de la maison juive.
 
C. Où il est question du sacré
 
On peut dire que les habitations traditionnelles humaines respectent les mêmes règles de sacralité que la ville : elles définissent un espace différent, protégé, à l’image du monde et limité.
 
Cette conception d’une habitation comme ayant, à l’instar de toute autre construction d’ailleurs, un caractère sacré, s’oppose à la vision fonctionnaliste et utilitaire des architectes modernes. Dans cette optique, la maison est bien plus qu’une simple « machine à habiter », elle a un caractère transcendant qui la relie à l’univers entier.
 
Même sans avoir été construites selon les règles traditionnelles, les maisons ne sont pas interchangeables, comme ce devrait être le cas si seule l’utilité comptait.
En effet, elles sont chargées de l’intensité de nos souvenirs par exemple. Une maison d’enfance a quelque chose de sacré pour chacun de nous individuellement, même si ce n’est pas le cas collectivement.
 
L’architecture ne s’est donc pas entièrement désacralisée pour ne garder que son côté utilitaire : certaines coutumes rappellent cette tradition.
Par exemple la pendaison de crémaillère a encore cours : elle a lieu lorsqu’une famille emménage dans son habitation.
La crémaillère permettant d’accrocher une marmite dans la cheminée, il s’agit de prendre possession du foyer de manière symbolique.
 
Et la pose de la première pierre est souvent une cérémonie…

Publié dans Architecture

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