Regard de l'arbre sur la ville, II

Publié le par Harmonie

Chapitre 1 :
Où le lecteur fait la connaissance d’une ville
 
 
 
Mes plus vieux souvenirs remontent loin dans le temps. Je me souviens en particulier de la ville. Non pas que j’ai porté un intérêt passionné à ce tourbillon d’activité, mais peut-être plus simplement parce que je ne suis jamais totalement parvenu à comprendre le pourquoi d’un tel déploiement d’énergie. Et puis, j’étais très jeune, et c’était fascinant.
Je suis vieux aujourd’hui, mais je conserve encore avec tendresse ces impressions d’un temps disparu.
 
J’ai grandi près de la Seine, presque en face de l’île de la Cité, et de la cathédrale. Le simple fait de dire cela ramène à ma mémoire des milliers de détails.
Les maisons se serraient, leur encorbellement rendait les rues petites, sans lumière, l’égout à ciel ouvert passant encore au milieu dans certaines. C’était un labyrinthe de parcelles, de passages, de gens. Et les odeurs ! Je me souviens d’une ville d’odeurs, odeur de boue d’abord, la boue qui remplissait les fossés, mais aussi celles entêtantes de l’urine et des ordures qui jonchaient la rue, malgré les porcs chargés du nettoyage, et celle du quartier des tanneurs, loin du cœur de ville. Odeurs des gens ensuite, sueurs aigres, parfums épais.
Déjà à cette époque, la ville était ancienne. Elle n’avait renoncé que récemment à ses vieilles enceintes ; sur la rive gauche – la mienne – cette muraille avait déjà près de quatre siècles quand il fut décidé de la démolir.
En fait, les hommes avaient préféré construire de nouveaux fossés au-delà des faubourgs plutôt que de moderniser encore l’enceinte.
 
Depuis peu, il y avait des tentatives pour remettre un peu d’ordre dans ce chaos apparent. Les nouvelles voies étaient larges, rectilignes autant que possible et amenaient à des places nées de la volonté d’une personne et non de l’évolution spontanée de la cité, telle la place des Vosges.
C’est aussi à cette époque que naquirent les premiers règlements d’urbanisme. J’ai toujours été impressionné par cela : quelqu’un décide, un jour d’édicter une ordonnance, un édit, et des siècles après la ville porte encore les traces de ces décisions. Il se trouve que dans ce cas précis je les approuvais totalement puisqu’elles visaient à lutter contre les incendies – ma terreur – en interdisant les pans de bois apparents, en limitant la hauteur des immeubles...
 
Paris grandissait, s’ouvrait sur le monde, rayonnait à l’extérieur, jeune encore, jeune toujours – une éternelle adolescente – belle et sordide à la fois, fière d’elle-même et ne laissant personne indifférent. Du moins, elle me semblait telle.
Vous me direz que j’en étais amoureux, et donc que mon point de vue était partial. C’est fort possible, j’en conviens. Mais j’ai vécu toute ma vie avec elle, la regardant évoluer, changer. Si je n’étais pas devenu amoureux, ma vie aurait été triste, ne croyez-vous pas ? Au lieu de quoi, elle a été miracle permanent, en osmose totale avec mon environnement.
Oui, je l’avoue, j’aime Paris, mais ne soyez pas jaloux, Paris aime trop être aimée pour repousser ne serait-ce qu’un seul de ces soupirants.

Publié dans Architecture

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