Les apparus dans mes chemins

Publié le par Harmonie

Consigne n 47  d'écriture ludique. Il faut utiliser au moins quinze titres sur les vingt titres de la liste. Il s'agit de titres de poésies et de recueil d'Emile Verhaeren. Le résultat est franchement bizarre, comme vous pouvez le constater...

(image du peintre Hieronymus Bosch, partie du triptyque représentant l'Enfer)

Il y avait longtemps qu'il ne savait plus pourquoi il était là. Il l'avait oublié, comme le reste. Et cela n'avait plus véritablement d'importance à ses yeux.
De temps en temps, un bref "Pourquoi ?" traversait  ses pensées, trait noir dans le paysage fantasmagorique, et une brève lueur de curiosité s'allumait quelque part en lui. Mais elle n'était plus suffisament brillante pour lutter contre les flammes hautes du Rêve.
De temps en temps encore, les voix parvenaient à s'introduire dans le Rêve. Elles l'appelaient par son nom, elles le sommaient de répondre, de revenir.

Autrefois, il les écoutait. Il s'arrêtait de marcher, il s'asseyait sur les bords de route, et s'efforçait de "revenir". Quitter le Rêve pour la "réalité", quelle qu'elle soit. Se souvenir d'un temps où il avait un nom.
Se réveiller dans un lit blanc, le corps ankylosé par trop d'immobilité, chambre silencieuse, baignée par la lumière des heures claires, des heures d'après-midi. Les retours étaient toujours difficiles, intensément douloureux, il restait étendu un long moment avant de se souvenir qu'il pouvait bouger. Parfois c'était trop dur, et il repartait dans le Rêve avant même que la réalité n'ait fini de s'imposer à lui, bercé par le goutte-à-goutte de la perfusion.
Il entendait alors les voix paniquées, celles qui le suppliaient de s'accrocher, de rester encore un peu, de parler.
Dis ce que tu as vu dans le Rêve ! Dis-le ! Nous en avons besoin ! Ils parlaient, ils parlaient encore et encore, en espérant qu'un des mots prononcés déclencherait quelque chose en lui, une réaction, un souvenir. Quelque chose qui lui donnerait une raison d'endurer cette souffrance, qui le pousserait à rester encore un peu éloigné du Rêve. Qui lui rappellerait les visages de la vie.

Mais c'était avant. Avant qu'il n'oublie. Avant que la multiple splendeur du Rêve ne le capture, et qu'il ne vive plus que pour sentir les forces tumultueuses de ses altérités oniriques se heurter aux vignes de sa muraille.
Les ailes rouges de la guerre qui se déploient peu à peu autour de la citadelle, sous le regard de la stryge. La stryge regarde toujours.
Cela le rassure, d'une certaine façon. Il sait que c'est lui qui la rêve ainsi. Que sa seule tâche est de veiller à ce qu'il se souvienne. Mais il a oublié.
Et elle est devenu stryge. Il attend qu'elle l'attaque, qu'elle suce son sang dans les blés mouvants des campagnes hallucinées. Il imagine la scène, entourée de flambeaux noirs, les cloches du couvent des moines dans le lointain, et son sang qui coule sur le sol, faisant naître des villes tentaculaires et minuscules, des chemins liquides dans les hautes herbes violettes.

Il imagine le temps comme une boule de mie de pain, qu'il triture entre ses doigts, les douze mois devenant des sculptures étranges et fantasmées, des êtres chimériques tour à tour séducteurs et effrayants. Soudain naît un visage de femme, un visage qu'il croyait avoir oublié, comme le reste, et un rêve qui ne doit rien au Rêve l'envahit.

Il se souvient...

Il a grandi vagabond dans une terre déjà dévastée, détruite par les débâcles successives. Il a grandi dans  un monde crépusculaire, où les matins ressemblaient aux soirs. Il a connu les chemins de toute la Flandre, comme les autres il avait la rage de vivre et il a vécu. Jusqu'à ce qu'il la rencontre, et qu'il s'aperçoive qu'il n'avait pas vécu.
Mais déjà le Rêve l'entraîne ailleurs, un autre songe, il se détache, il s'effrite.  Non !
Il veut se souvenir. Revenir dans la réalité.
Les voix se réveillent, se mêlent dans sa tête, l'encouragent. Il se souvient de tout maintenant, mais il s'est enfoncé trop profondément dans le Rêve, la réalité est si lointaine... Il sait qu'il va mourir, que le Rêve a rongé jusqu'à ses dernières forces, qu'il est trop tard.
J'aurais essayé au moins, souffle-t-il, et j'emporterai avec moi, comme ultime don, les images des apparus dans mes chemins.

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Suite : Le choix du RêveSacrificeLa Jetée  , Loola
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M
"les apparus dans mes chemins" est déjà une formule que je trouve très émouvante<br /> l'écho et la texture que ton texte lui donne parachève cette belle émotion<br /> :)
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H
<br /> <br /> Merci Mariev<br /> <br /> <br /> <br />
L
Coucou miss. Je n'avais pass fait attention. Ahh bonne trouvaille ce tableau de J. Bosch. C'était un génie bien avant l'heure lui.
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H
<br /> <br /> Oui, un vrai génie. L'univers du Rêve m'a fait très vite penser à Bosch.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Indéniablement, tu as su glisser adroitement les titres dans une histoire qui tient "debout", je salue ici la performance litteraire.
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H
<br /> <br /> Merci<br /> <br /> <br /> <br />
O
Etrange mais super !
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H
<br /> <br /> Merci<br /> <br /> <br /> <br />
A
Il est bien ton texte, je ne le trouve pas bizarre non plus, moi, mais il m'en faut déjà.<br /> <br /> Tes titres glissent impeccablement et l'histoire est très sympa...<br /> <br /> Promis, un de ces 4, quand ma tête voudra bien fonctionner, <br /> <br /> je viendrais te lacher de meilleurs coms que ça.<br /> <br /> :0010: frangine !
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H
<br /> <br /> Merci Aga, mais de ta part, je ne suis pas surprise que tu ne le trouve pas étrange... ;-)<br /> <br /> <br /> <br />