Seuil

Publié le par Harmonie

Auparavant, j'étais ici.
Maintenant, je suis ici.
Plus tard, je serai ici.
 
Peut-être pas moi, bien sûr. Mon corps, mon esprit, mes mots. Ce sera un autre moi. Un autre corps, un autre esprit, et d'autres mots. Et pourtant, ce sera toujours moi dans un certain sens.
Ici. A la frontière des mondes.
C'est un passage. Une ouverture sur le dehors, qui fait toujours partie du dedans, enclavée entre portes-fenêtres et baies vitrées.
Ici, le temps s'arrête, se mélange. Passé, présent, futur. Et moi, toujours. Comme une chaîne infinie.
Il y a toujours eu des "moi". Il y en a toujours. Il y en aura toujours... Un cercle éternel de "moi" qui se succèdent. Dans ce lieu qui n'est ni là, ni ailleurs. Qui est ici.
Là où la trame des univers se détisse; fils colorés et si différents, jetés nonchalamment en amas, et qui pourtant forment un dessin, une image.
Danse volatile des ombres sur les murs ; rayons rectilignes de la lumière du lampadaire, jaune, orangée, chaleureuse mais tellement froide, contrastée, reflétée, réfractée. Jeu enfantin sur les vitres.
La force des contraires, des paradoxes. Quand l'équilibriste sur la corde a le vertige, malgré le fil invisible qui le soutient, le protège. Ici aussi le fil est presque invisible. Un rappel de fil. Etroite bande de mur qui relie les parois, nous encadre, nous rassure. Me rassure, moi. Et tous les "moi" qui m'ont précédée. Et tous les "moi" qui me succèderont. Un fil qui nous ferait presque oublier le vide sous la corde de l'équilibriste, le vertige, l'abîme.
Ici l'abîme est au dessus de nos têtes. Un vertige immense. Un ciel trop grand. Trop vaste. Sa simple existence. Sa tranquille et insouciante existence, qui nous renvoie à notre propre existence, à nos peurs. Le vertige sous la corde.
Parce que ce carré de ciel nous donne un rêve, un espoir. La liberté. Une liberté voulue, souhaitée, idéalisée. Et maintenant, elle est là. Il suffirait de tendre la main...Et d'être libre.
Libéré de ce carcan d'émotions parasites. Sans la peur. Mais sans la joie aussi. Sans l'amour. Sans rêves. Marcher sur la corde sans le fil. Parce que ce n'est que cela, finalement. Une spirale d'émotions non désirées, incontrôlées. Même la peur qui nous effraye. Et cette spirale crée une chrysalide protectrice autour de nous.
Alors, la main encore levée, tendue vers l'étoile solitaire qui brille, là-haut, on se contente de sourire et de laisser retomber le bras.
Merci, évasion. Merci, porte ouverte sur le ciel, mais nous ne nous envolerons pas ce soir.
C'est peut-être cela la vraie liberté. Décider de laisser retomber la main. De ne pas attraper l'étoile. De s'arrêter à la lisière du réel et de l'irréel, sous la lumière chaude et réfrigérante d'un lampadaire immuable.
Et cette lueur me porte, moi, loin de cette terrasse.
Moi qui ne suis qu'une bulle de souvenir. Une simple bulle de souvenir qui s'efface de votre mémoire.
La lumière me porte, m'emporte, jusqu'à cette unique étoile, à présent cachée par un nuage, dans l'abîme du vertige, cette étoile solitaire, au dessus de vos têtes.



Un texte que j'ai écrit pour un atelier d'écriture, cette version date du 21 novembre 2004. Vous le connaissez peut-être, puisque c'est celui qui est passé au SLB de Fred.

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L
Vérité
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